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Louis Girault, médecin, républicain blancois

Je m’appelle Louis Girault, né au Blanc le 8 Brumaire an XIV du calendrier républicain, soit le 30 octobre 1805. Ma mère se prénommait joliment Rose et mon père Joseph, cordonnier. Tout naturellement, j’ai embrassé le même métier. Avec beaucoup de persévérance, de volonté et de subsides matériels, j’ai obtenu le diplôme de docteur en médecine, après des études à Tours et Paris.

C’est là que j’ai connu ma première épouse (Marie-Anne) Rosalie Desange. Nous avons convolé en justes noces le 6 juillet 1837 à Saint-Louis-en-l’Isle (4e arrondissement). Notre couple est demeuré sans enfant.

Eglise de Saint-Louis-en-l’Isle

De retour au Blanc, je me mis au travail avec des journées bien remplies … comme tout médecin de campagne peut en avoir. Je soignais gratis de nombreux malheureux et me démenais auprès des indigents.

En dépit de mon entier dévouement à mon métier, un triste incident se produisit dans le courant de l’été 1850 : une patiente nommée Eugénie Cotton (ou Cottand), épouse Marandon m’accusa « d’attentat à la pudeur consommé ou tenté avec violence » commis sur sa personne les 14 et 16 mai. D’arrêt de la Cour d’Appel de Bourges au renvoi de cette affaire aux Assises de l’Indre, j’ai finalement été incarcéré du 12 au 23 juillet à la maison d’arrêt du Blanc, sur décision du procureur du tribunal de Châteauroux. Bigre ! La plaignante, ayant présenté deux certificats médicaux, ne s’est jamais présentée devant le juge. Assisté de mon avocat, Maître Dupleissez, j’ai été heureusement acquitté le 3 septembre.

Selon sa version des faits, Louis Girault, déplorait que cette affaire avait nui à sa réputation blancoise. Il s’interrogeait : mais n’était-ce pas l’effet recherché ?

Ce qui ne m’empêche pas de militer au sein de la société philanthropique «  la Jeune Montagne », qui sera transformée, au fil des rebondissements politiques, en foyer de conspiration.

Revenons à la grande Histoire pour comprendre la suite du fil de la vie de Louis Girault.

Gallica.BnF.fr

Louis-Napoléon Bonaparte, neveu de l’illustre empereur corse, a été élu premier chef d’Etat français au suffrage universel masculin (les femmes n’auront le droit de vote qu’en 1944 !) le 10 décembre 1848 avec 74,2% de voix. Il sera l’unique président de la Deuxième République. La Constitution alors en vigueur lui interdit de se représenter après quatre années de mandat.

Début 1849, des manifestations de fraternité voient le jour dans tout le pays : on plante des arbres de la Liberté sur les places publiques, des banquets républicains sont organisés. Il n’en demeure pas moins que les difficultés économiques et sociales perdurent et qu’elles sont aggravées par des troubles révolutionnaires. A Paris, les ouvriers du bâtiment obtiennent, non sans mal, l’abolition de leur recrutement par marchandage et une journée de travail de 10 heures contre 11. En province, ils ne travailleront plus que 11 heures au lieu de 12. La révolution industrielle, amorcée en France dans les années 1770-1780, après l’invention de la machine à vapeur, a mis à mal de maints corps de métiers, dont la paysannerie voyant apparaître les premières batteuses mécaniques.

Dans l’Indre, et tout particulièrement en Brenne et à Buzançais, les émeutes de la faim de l’hiver 1847 sont encore dans toutes les têtes. Les intempéries en 1845 et 1846 ont anéanti les récoltes de céréales, de pommes de terre et de légumes secs. Alors que la base de l’alimentation demeure le pain (2,5 kilos par jour par ménage), le prix de la farine flambe, empêchant les paysans de nourrir leurs familles. Ils se révoltent, au prix de quelques morts dans de violents rassemblements et de lourdes condamnations (3 peines de mort, 4 travaux à perpétuité).

C’est dans ce contexte social épineux et ces crises économiques, amplifiées par l’exode rural massif, qu’un gouvernement se met en place après la rédaction laborieuse et conflictuelle d’une Constitution. Nous y retrouvons les membres du parti de l’Ordre – conservateur, de l’ordre, de la sécurité et des bonnes mœurs (450 élus) ; – des Républicains (75) et des « Montagnards » et démocrates-sociaux (180), les plus à gauche.

Gallica.BnF.fr

L’échec de la révision constitutionnelle, les multiples divergences des partis au pouvoir sont les points de non-retour qui favorisent le coup d’Etat promulgué par Louis-Napoléon Bonaparte au matin du 2 décembre 1851. Un décret dissout l’Assemblée nationale législative. Quelques semaines plus tard, un plébiscite, approuvé par 7,5 millions de « oui » contre 640 000 « non » valide le changement de régime. Napoléon III sera sacré Empereur des Français symboliquement un an plus tard, jour pour jour après le coup d’Etat et 48 ans après son illustre aïeul.

Le contexte historique général ayant été rappelé, vous vous souvenez de mon militantisme « montagnard » dont l’origine de ce nom divise encore les historiens. Etait-ce du fait que les députés de gauche siégeaient en haut des bancs de l’Assemblée ? Des réunions tenues dans le quartier de la montagne Sainte-Geneviève ? La montagne est un symbole de liberté, comme le veut la tradition des Lumières ? Le mystère demeure.

Ayant appris le 4 décembre la dissolution, sans motif, de notre société philanthropique par le sous-préfet, j’ai exhorté ses membres à manifester pacifiquement sur la place de l’hôtel de ville pour en demander la raison (1). Comme 100 000 autres insurgés à travers la France et tout particulièrement en province, j’ai souhaité ainsi « défendre la République » dans le respect de mes valeurs.

Je fus arrêté dès le lendemain, tout comme Alexandre Canuet, avoué, et Théodore Reignier, huissier, deux jours après. Bien qu’étant « prévenu par mesure administrative », j’ai conservé ma liberté de mouvement. Accusé « d’excitation à la guerre civile » (sic !), de « courtier du socialisme » et gratifié de « moralité ignoble », une commission départementale mixte me condamna à être expulsé du territoire.

En fait, je n’ai jamais quitté le sol français et je me réfugiais chez un ami parisien au 290 rue Saint-Denis.

A cet instant, j’ai pris conscience que le cours de ma vie ne se déroulerait plus jamais au Blanc. J’y laissais mon épouse, mes parents, mes amis, des malades, …

Un processus administratif de grâces collectives, refusé par de nombreux camarades républicains, se mit en place dans les préfectures, à l’initiative du Garde des Sceaux et « à l’occasion de l’avènement de l’Empire ». Pour ce faire, il fallait que je fasse profil bas.

C’est la raison pour laquelle j’ai adressé officiellement à l’Empereur Napoléon III, le 7 janvier 1853, une demande de grâce indiquant ceci : « j’adhère sans réserve au nouveau gouvernement que vient de se choisir la France. Je m’engage sur l’honneur de me soumettre à toutes les lois qui en émaneront et à ne faire aucune opposition au gouvernement ». Précédemment, dans une lettre du mois d’octobre 1852, mon épouse a déjà rédigé « une humble supplique » pour « une famille qui gémit depuis bientôt un an de l’absence de son chef ». En effet, je ne peux m’occuper de mes parents âgés et infirmes. Ne pouvant exercer, je laisse Rosalie dans une situation financière délicate.

Signature de L. Girault

Dès le 19 janvier, Sa Majesté « a daigné faire remise de la mesure de Sûreté générale » à laquelle j’étais soumis et ce, en dépit d’un avis très négatif du préfet Léon Berger. En voici quelques extraits :

« Je m’empresse de vous faire connaître qu’à mon sens le retour de cet individu au Blanc serait du plus fâcheux effet. Girault est un homme sans moralité […] Depuis 1848, il a exercé une détestable influence sur la population du Blanc ; agent actif du socialisme, membre de la société secrète dite  la Jeune montagne il était en relation avec tous les chefs de la démagogie dans l’Indre et avait puissamment contribué à la fondation d’un journal rouge dans le département. Aux raisons il s’en joint encore une autre tirée de l’état actuel des esprits dans la ville du Blanc. Cette petite ville est très divisée par son influence sur la lie de la populace. Girault pourrait y faire beaucoup de mal. »

Ayant, par obligations matérielles, été contraint de vendre mes propriétés blancoises, nous nous installons définitivement à Paris. De toute façon, j’ai perdu depuis bien longtemps mes patients …

En 1854, j’ai été nommé médecin du bureau de bienfaisance du IXe arrondissement, sans pour autant pouvoir recréer une clientèle. La même année, j’ai assuré les fonctions gratuites de médecin de la société de secours mutuels du quartier de l’Arsenal, l’ancêtre des mutuelles d’aujourd’hui.

Deux ans plus tard et jusqu’en 1879, j’ai été désigné, toujours bénévolement, médecin hygiéniste et des écoles. Lorsque ce poste fut enfin pérennisé et rémunéré, le préfet estima que j’étais trop âgé.

A une date que les archives n’ont pas permis de retrouver, la première conjointe de Louis décède. Quelques années plus tard, il épouse Claire Charlotte Hoffmann, veuve Bignault, de 34 ans sa cadette.

La Commune de Paris débute le 18 mars 1871. L’année précédente, dans le cadre de la guerre qui opposait le Second Empire français au royaume de Prusse, j’avais créé une « ambulance particulière » de 100 lits. Il s’agissait d’une sorte d’hôpital de campagne destiné à soigner les blessés au plus près des combats. Fort de cette expérience, il m’est apparu indispensable de renouveler l’exercice avec 34 lits mis à disposition au premier jour de la Semaine sanglante le 25 mai 1871. Une centaine de structures provisoires prit en charge un nombre considérable de personnes que les hôpitaux de l’Assistance publique, débordés par l’afflux incessant de blessés, ne pouvaient gérer. Mon rôle de médecin, déjà compliqué face à l’horreur des traumatismes constatés, se vit entaché du fait que les Versaillais décidèrent que le serment d’Hippocrate pouvait être bafoué d’une part, que la récente convention de Genève (1864) protégeant les blessés et le personnel soignant n’avait pas lieu d’être, d’autre part.

J’ai réchappé de cette terrible épreuve avec deux blessures, à la main et à l’épaule.

Musée Carnavalet – Histoire de Paris.

Comme d’autres collègues, ce sont pour des « services signalés dans les ambulances » que le ministère de l’Intérieur me nomma chevalier de la Légion d’honneur le 18/09/1872. Quel curieux retournement de situation !

A plus de 65 ans, je continue de soigner dans la capitale.

En 1879, le poste de médecin hygiéniste se pérennise et l’administration décide enfin de le rémunérer. Le préfet nomme un autre praticien, me jugeant trop âgé pour poursuivre cette activité débutée 23 ans plus tôt.

Dans le IVe arrondissement, je suis alors devenu président-rapporteur des vaccinations. Une fâcheuse fracture de la jambe en juillet 1880 m’empêcha de marcher correctement et me contraignit de cesser définitivement mon métier, mais pas mes activités politiques. Elu président des comités républicains de mon arrondissement, à l’occasion des élections des conseillers municipaux et députés parisiens, j’ai aussi été choisi à l’unanimité pour devenir membre du congrès démocratique de Paris.

Cette vie mouvementée a eu raison de mes finances, au plus bas. Ce qui me pousse à solliciter une pension début janvier 1881. Dans une longue lettre explicative, je raconte mes déboires et je la conclue ainsi : « ma position scientifique et honorifique est allée en s’élevant, ma fortune en s’abaissant. »

Louis Girault est décédé le 3 janvier 1884, à l’âge de 79 ans à son domicile 21 rue Saint-Paul, Paris 4 laissant veuve sa seconde épouse Claire.

Louis était un homme de conviction. Tout d’abord en respectant le serment d’Hippocrate qu’il prononça à la fin de ses études de médecine : « Je donnerai mes soins à l’indigent et à quiconque me les demandera. Je ne me laisserai pas influencer par la soif du gain ou la recherche de la gloire. » En marge des cinquante années pendant lesquelles il soigna et accompagna sans discontinuer, il milita parallèlement toute sa vie pour défendre les valeurs de la République que sont la liberté, l’égalité et la fraternité.

  1. En 1851, la sous-préfecture occupait l’actuelle mairie. Le représentant de l’Etat n’intégrera le bâtiment sis 10 rue de la Sous-préfecture qu’en 1903.

Sources :

  • Archives départementales de l’Indre : 1112W-8, 2U-134, Y 92, M2582 et 2584
  • Archives nationales Pierrefitte-sur-Seine : BB/22/174/1
  • SHD Vincennes : GR 7J 72
  • Etat-civil en ligne Le Blanc, Paris (en partie reconstitué à la suite de destructions)
  • La Marianne bâillonnée – Bernard Moreau – Point d’ancrage – 36310 Chaillac
  • La Commune de Paris, l’assistance publique et les hôpitaux en 1871 – Jean-Paul Martinaud – Editions l’Harmattan – 2005
  • Journal Officiel du 22/09/1872 – Gallica.BnF.fr
  • Site internet de la Grande Chancellerie de la Légion d’honneur : https://www.legiondhonneur.fr/fr
  • Remerciements à Jean Annequin, co-président des Amis et Amies de la Commune de Paris 1871 – comité du Berry.

Crédits photographiques :

  • Page 1 : domaine public
  • Page 2 : Gallica.BnF.fr
  • Page 3 : Gallica.BnF.fr
  • Page 4 : tirage restreint issu de l’une des pages du document BB/22/174/1 ci-dessus référencé.
  • Page 6 : musée Carnavalet – Histoire de Paris. Libre de droit.

 

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