Comme beaucoup de personnes riches au XIXe siècle, Marie-Louise Pellerin, épouse François sentit le besoin, en ce 10 mai 1838, de rédiger son testament qui sera amendé d’un codicille* cinq ans plus tard.
A son décès à Mézières le 1er mars 1845, l’ouverture du document olographe révéla les legs suivants :
Une rente annuelle et perpétuelle de 300 francs au conseil de fabrique, chargé de l’administration et de l’entretien de l’église Sainte Marie-Madeleine,
Une somme identique aux curés de la paroisse pour leurs services religieux,
A la commune de Mézières une rente annuelle et perpétuelle de 1200 francs, « au capital de 24000 francs » pour l’établissement d’un hospice.
Parallèlement en 1849, son époux Jean-Baptiste, juge de Paix, avait lui aussi édicté ses dernières volontés dans le même état d’esprit en précisant qu’il faisait des donations, sous forme de rentes, à l’établissement déjà installé des Filles de la Croix (1000 francs par an), au futur médecin attaché à cet hospice (100 francs), à un « artiste vétérinaire* »( 150 francs), au bureau de bienfaisance communal, etc. …
Le temps de procéder aux multiples vérifications d’honorabilité, d’acceptations des intéressés et de rédactions des conditions d’utilisation de ces deux legs, Louis-Napoléon Bonaparte signa le décret d’autorisation le 16 mars 1852.
Il appartenait désormais aux religieuses de mettre en place et de gérer cet hospice.

C’est André-Hubert Fournet, curé de la paroisse de Maillé dans le Poitou qui créa cette congrégation en 1807. Le but de l’Ordre des Sœurs de la Croix dites aussi Sœurs de Saint-André est d’une part, d’assurer la prise en charge éducative des femmes dans le besoin, de leur enfance à leur fin de vie et d’autre part, de tenir « avec soin les hôpitaux qu’on veut bien leur confier ». Sous l’impulsion de Jeanne-Elisabeth Bichier des Âges, originaire du Blanc, la communauté s’étendit rapidement et déménagea en 1823 à La Puye (86) où elle se trouve aujourd’hui.
Leur Maison-Mère étant située à moins de 50 km de Mézières, un groupe de quatre religieuses y était déjà établi depuis le mois de juillet 1824 pour prendre en charge deux classes de jeunes filles, conformément à la finalité de leur Ordre.
C’est donc naturellement que les époux François ont couché le nom de cette communauté dans leurs dernières volontés.
En concertation avec la commune, la commission administrative du 7 mai 1853 décide de faire construire l’hospice sur un terrain à proximité de l’église, dans l’actuelle rue des Orchidées. Etant un bâtiment public, le projet est confié au cabinet de l’architecte départemental Dauvergne qui présente un plan au mois de novembre 1855.
L’ancien cloître du Chapitre, racheté comme bien national par Mme Navelet peu après la Révolution de 1789, hébergeait déjà les Sœurs. Un jardin le jouxtant fut alors acquis par la municipalité pour assurer l’édification de la bâtisse.
Conçu pour accueillir 4 femmes et 4 hommes – presque hermétiquement séparés avec, par exemple, une cour de promenade spécifique, l’endroit comporte une chapelle, une pharmacie, un parloir. A l’étage, les cellules des religieuses, une vaste salle de réunion pour la commission et à l’extérieur, à côté du hangar « la chambre des morts ». Cuisine, lingerie, buanderie, office et même deux salles de bain complètent l’ensemble. Ce vaste projet semble avoir été écorné par l’architecte lui-même qui le trouvait ambitieux.
A partir de 1864, des vieillards sans famille et/ou dans le besoin matériel y furent accueillis. Un document statistique de 1871 indique déjà l’admission de 33 malades pris en charge pendant 893 jours. Régulièrement la mairie entretenait les locaux, comme en 1937 pour la rénovation de la toiture. De leur côté, les Sœurs géraient les menus travaux tels l’agrandissement d’un poulailler facilitant l’autonomie alimentaire.
Sous le contrôle de l’archevêché de Bourges, elles respectaient strictement les décisions testamentaires des
époux François tant pour le temporel que le spirituel.
Hormis la gestion de l’hospice et pour répondre aux demandes pressantes de la population, les Sœurs ont rapidement prodigué des soins quotidiens, assuré des accouchements dans leurs locaux et à domicile, participé aux consultations des nourrissons organisées par les services territoriaux.
Sœur Gustave Saint-Louis (1901-1986) a tout particulièrement marqué les Macériens pour ses nombreuses initiatives et son dévouement exemplaire auprès des familles. Arrivée en 1934, cette vendéenne des Sables-d’Olonne, infirmière diplômée ne repartira qu’en 1953. Sous son impulsion, l’hospice se transforma en hôpital rural et en maternité structurés. Dans la période de la Seconde Guerre mondiale, le chirurgien Eugène Cotillon venait même de Châteauroux une fois par semaine pour pratiquer des interventions bénignes.
Dans un bulletin municipal, le docteur Pilorgé rappelle, non sans émotion, la dévotion de cette religieuse lors d’une épidémie de bronchite capillaire qui toucha particulièrement les enfants. Aucun service de réanimation n’existait alors dans le département mais un médicament miracle venait d’être introduit en thérapie : la pénicilline. Pendant trois mois, sœur Saint-Louis l’administra en piqûre, jour et nuit toutes les trois heures aux malades, jusqu’à en perdre elle-même la santé.
Les locaux étaient devenus si exigus que le réfectoire avait été condamné et que les personnes âgées résidentes et les hospitalisés prenaient leurs repas dans leurs chambres. En 1942, la commission administrative décide enfin d’agrandir l’hospice-hôpital en faisant construire 12 lits supplémentaires, un service d’hydrothérapie, « un service de bouche », une salle d’opération plus vaste et mieux aérée ainsi qu’une salle réservée à la stérilisation. Le conflit mondial différa le projet …
Bien ancrées de la vie locale et ses environs, les religieuses poursuivent leurs activités de
soignantes, partageant les peines et les joies des habitants. Leur soutien indéfectible était très apprécié.
Une loi de 1975 organisant la filière sociale et médico-sociale fait entrer le concept de « maison de retraite » dans les esprits « écartant définitivement le terme d’hospice, devenu trop péjoratif » selon Gérard Brami, docteur en droit. Un délai de dix ans était alloué aux pouvoirs publics pour assurer ces transformations en établissements médicalisés ou pas. Deux décennies de plus seront nécessaires pour parvenir à la disparition totale des hospices en France.
Il revenait donc à la municipalité de réfléchir à cette mutation et à trouver les financements pour sa construction. Un projet de maison de retraite non médicalisée de 60 lits vit le jour en 1963 pour un coût de 2 500 000 francs (4 181 877 euros), financé à 80% par l’Etat et la caisse régionale d’assurance vieillesse et 20% par la commune. Le temps d’acquérir un terrain suffisamment vaste, de valider les autorisations administratives indispensables, les travaux débutèrent au mois de septembre 1973. Les premiers « pensionnaires » s’installèrent, au début de l’été 1976 sous la houlette de Mme Canone, directrice, dans des chambres et des cabinets de toilettes individuels. Une petite révolution en matière de confort ! « La Résidence de la Brenne » était née et inaugurée en grande pompe le 22 janvier 1977, en présence de M Heckenroth, préfet.
Que sont devenues les Sœurs ?
Rappelées par leur communauté, elles quittèrent définitivement Mézières au mois de février 1978, après 154 ans de présence continue et fidèle. Lors d’une émouvante cérémonie d’adieu le 22 janvier, le maire Léon Boussard indiquait « vous vous en allez sans qu’il y ait autre chose entre la commune et vous que de l’amitié et de la tendresse et que nous avons de la peine à vous voir partir. »
La direction départementale des affaires sanitaires et sociales a prononcé officiellement la suppression de l’hospice à compter du 1er juillet 1979. Les bâtiments ont été entièrement détruits.
Pour faire face aux besoins, une seconde aile fut construite à la fin des années 1980 dans le jardin de l’ancien presbytère. Elle permit d’accueillir 15 personnes supplémentaires à un prix journalier de 104 francs (33 euros).
Une nouvelle loi en 2002, rénovant l’action médicale et sociale, change le statut des maisons de retraite médicalisées pour les transformer en Etablissements d’Hébergement pour Personnes Agées Dépendantes (EHPAD) s’engageant sur des critères qualitatifs.
La pose de la première pierre annonçant des travaux de réhabilitation et d’extension a eu lieu le 1er mars 2006. Elle faisait suite à des missions d’étude et de procédures débutées en … 2001 dans le but « d’humanisation » de la simple maison de retraite qui s’adaptera en établissement médicalisé, pour répondre aux besoins.
A la toute fin de l’année 2009, après quelques déménagements, cohabitations temporaires à deux par chambre, 84 résidents dépendants s’installèrent dans des chambres de 23m2 en moyenne équipées de douches et aux dernières normes en vigueur. L’extension de 1800 m2 permit la création d’une cuisine, d’un réfectoire climatisé, de locaux techniques, …
Aujourd’hui, grâce à des locaux fonctionnels, à un personnel très dévoué et à la dynamique association d’animation « les Orchidées », la Résidence de la Brenne gère 73 lits d’hébergement dits classiques et 11 lits pour des personnes atteintes de pathologie type « Alzheimer ». La structure est le premier employeur du village.
Si les époux François n’avaient pas légué généreusement une partie de leurs biens, il n’y aurait probablement pas d’EHPAD à Mézières-en-Brenne. Avec une espérance de vie moyenne fixée à 45 ans en 1900, « les vieux » n’étaient au final pas si nombreux. A la campagne, la famille proche les prenait alors en charge. Quant aux indigents et aux sans famille, l’Eglise, via les congrégations religieuses, les accompagnaient par bienfaisance.
L’allongement de la durée de la vie, l’institution des pensions de retraite en 1945, la modification des liens régissant les générations, la prise de conscience du nécessaire bien-être des personnes âgées ont rendu indispensables les transformations de cette institution demeurée publique qu’est l’actuel EHPAD.
Les mots désignant les plus de 60 ans reflètent bien ces évolutions au fil du temps : vieillard, vieux, retraité, aîné, 3ème et 4ème âges, résident, senior. Quel sera le prochain ?
*Codicille : modification d’un testament et/ou ajout de dispositions complémentaires sans nouvelle rédaction de l’acte initial.
*Artiste vétérinaire : maréchal-ferrant et maître de poste ayant obtenu un agrément préfectoral. Ancêtre du médecin-vétérinaire diplômé uniquement de l’école d’Alfort ou maréchal-vétérinaire pour l’école de Lyon.
NB : le vitrail qui était situé au fond de la chapelle n’a pas été détruit. A ce jour, la municipalité l’a récupéré.
SOURCES :
- https://www.ehpadia.fr/Histoire-acceleree-des-EHPAD_a888.html
- https://www.radiofrance.fr/franceculture/de-l-hospice-a-l-ehpad-du-vieillard-au-retraite-1278659
- Archives départementales de l’Indre : 24J 128 et 297 – E DEP2 21 – 48J 5C 604 – 3Q 12605 4Q 9830 – F 1137 – 1154W 103 et 133.
- Journal la Nouvelle République : 01/03/1972 – 01/09/1976 – 25/01/1977 – 24/01/1978 – 25/01/1980 – 19 et 20/03/1988 – 2003 – septembre 2005 – avril 2006 (sans dates précises).
- Archives de l’archevêché de Bourges.
- Bulletins municipaux n° 7 1986 – n° 45 07/2005 – n° 50 01/2008 – n° 54 12/2009.
SOURCES DES VISUELS :
- AD 36 – E DEP2 21
- AD 36 – site internet – Elisabeth Bichier des Âges – Huile sur toile, anonyme, v. 1830 – Le Blanc (Indre), église Saint-Génitour. Photo de l’ancien cloître du chapitre : Chantal Kroliczak ©
- AD 36 – 24J 297
- photos aimablement prêtées par Simone Moury †
- extraits de la NR du 25/01/1977 (photo du haut) et du 24/01/1978 (photo du bas)
- Chantal Kroliczak ©
Passionnante histoire et très bon article sur la générosité et sur le fait que rien ne tombe du ciel .