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Spectacle vivant, la crise

Saisons raccourcies, projets à l’arrêt, budgets en berne, élus désireux de reprendre la main sur les programmations… Le spectacle vivant est en souffrance. De l’Opéra de Paris à la Comédie Française, du théâtre national de la Colline à celui des Amandiers…

 

Les programmes de la saison 2024-2025 ne laissent rien paraître qui, page après page, présentent les spectacles à l’affiche dans les théâtres. Pourtant, on remarque soudain que les premiers spectacles qui ouvrent la saison théâtrale, dans le service public, sont « légèrement » décalés. Un décalage à peine perceptible à l’œil nu. Là où la saison démarrait dans la première quinzaine de septembre, voilà que les premières ont lieu fin septembre, après l’arrivée de l’automne. Cela fait quelques années que l’érosion a commencé mais, là, elle est plus importante que jamais. Ces retards de calendrier sont un indicateur des difficultés que rencontrent les théâtres de service public pour assurer leur mission. Ils sont la conséquence des économies imposées par Bercy au printemps dernier, économies qui s’ajoutent aux précédentes. Depuis le Covid, les théâtres ont dû faire face à l’explosion des coûts des matières premières et assurer l’augmentation, normale, des salaires, alors que, dans un même mouvement, les subventions des collectivités territoriales, principaux bailleurs, étaient revues à la baisse.

Le vent de l’austérité

Un état des lieux aggravé par des injonctions ministérielles, « mieux produire, mieux diffuser », qui, dans les faits, mettent en péril les compagnies les plus fragiles, les plus jeunes, ainsi que la diversité, la pluralité des créations. Jusqu’à présent, on grignotait discrètement sur la marge artistique. Désormais, cela n’est plus possible. La démission du directeur de l’Odéon, Stéphane Braunschweig, en décembre 2023, s’est faite dans la quasi-indifférence du secteur. Pourtant, c’était bien son impossibilité de bâtir une saison artistique digne d’un théâtre national qui en fut la cause. Il a fallu attendre quelques chiffres au printemps dernier – qui pointaient une baisse, pour l’année 2024, de 10 % du nombre de spectacles diffusés dans les centres dramatiques nationaux (CDN) et théâtres nationaux – pour que la profession s’inquiète unanimement.

Conjointement menée par les syndicats employeurs et employés du théâtre public, l’étude Lapas annonce fin juin des chiffres alarmants : entre la saison 2018-2019 et 2024-2025, les compagnies qui avaient plus de 100 dates programmées par an passeront de 7 % à 4 % ; entre 50 et 100 dates, de 22 % à 15 % ; entre 20 et 50, de 39 % à 29 % et, tout en bas de l’échelle, le nombre de compagnies qui avaient moins de 20 dates par an, passera de 33 % à 52 %. Partout, on sent le vent de l’austérité souffler dans les théâtres. La diminution attendue est de 54 % du nombre de représentations entre 2023-2024 et 2024-2025. Un appauvrissement de l’offre culturelle sans précédent qui met en péril l’existence de certaines compagnies. L’étude indique que 22 % des artistes jusqu’ici accompagnés envisagent d’arrêter leur carrière ou de dissoudre leur compagnie. 27 % des bureaux de production et 40 % des compagnies pensent ne pas pouvoir maintenir les emplois administratifs.

Un plan social qui ne dit pas son nom

Ce n’est pas Rachida Dati, renouvelée à son poste dans le gouvernement Barnier, qui va inverser la tendance, davantage préoccupée par le patrimoine que par l’art et la création contemporaine. Lorsque Bercy annonce, mi-février, une économie de 10 milliards, une décision qui se traduit pour la culture par une réduction de 200 millions, dont la moitié pour le spectacle vivant, la ministre s’indigne sur les réseaux sociaux. Une indignation qui s’arrête là. On ne l’entend plus lorsqu’on apprend, dans la foulée, que le budget de l’Opéra de Paris est amputé de 6 millions d’euros ; ceux de la Comédie-Française, de 5 millions ; du théâtre national de la Colline et de Chaillot, de 500 000 euros chacun. La locataire de la Rue de Valois a d’autres préoccupations, dont la Mairie de Paris, qu’elle convoite sans vergogne.

Directeur du théâtre des Amandiers, Christophe Rauck l’écrit dans son éditorial de saison : « Les temps sont difficiles et l’austérité qui nous est promise remet en question le service public de l’art et de la culture pour tous·tes. Gardons à l’esprit qu’il est important de laisser vivre le théâtre, lieu de l’indignation, de la contradiction et de l’esprit critique. Nous sommes comme les lucioles. On pense que si nous disparaissons, le jour va quand même se lever. C’est vrai, mais la nuit n’en sera que plus noire ». Déjà, de premières mobilisations pour les services publics ont permis à une profession en danger de s’exprimer. En fait, c’est tout le secteur du spectacle vivant qui est menacé.

Article de Marie-José Sirach, publié chez nos amis de Chantiers de culture

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