À la fin des années 1970, le conseil municipal de Mézières-en-Brenne a nommé son école maternelle : Jean Foursac, en hommage au résistant qu’il a été. Retour sur sa vie et ses combats.
Sur son acte de naissance, il est indiqué Jean, Aimé, Arthur. Un second prénom prémonitoire comme un hymne à la vie qui l’a aimé par trois fois dans un destin surprenant.
Jean est né dans le quartier Saint-Etienne à Tours le 23 mai 1914, deux mois avant le début de la Grande Guerre. Ses parents exercent les métiers d’employé de commerce pour Arthur, son père et couturière pour sa mère Marie-Louise, en prémices de leur future installation à Mézières-en-Brenne.
Pour des raisons ignorées, ils créent un commerce de rouennerie* au 16 rue de l’Ouest (actuel bureau de Thélem assurances), à partir de 1921, peut-être même quelques années auparavant. Fils unique, Jean fréquente la toute nouvelle école laïque. Excellent élève, il obtient haut la main son certificat d’études en 1926. Premier du canton, il se voit même offrir une bicyclette Dilecta alors fabriquée au Blanc par les établissements Chichery.
Après la poursuite de ses études au Blanc et au lycée de Châteauroux, une formation de préparateur de pharmacie conduira Jean au fort de Vincennes comme militaire nommé «élève officier d’administration de réserve du service de santé», issu de la 22e section d’infirmiers miliaires qu’il a intégrée à l’âge de 20 ans. Fin 1937, après avoir été affecté à l’hôpital Bégin à Saint-Mandé (94), il est transféré de l’armée de Terre à celle de l’Air avec le grade de sous-lieutenant, non pas comme personnel de santé mais en tant qu’officier de services administratifs de l’Air.
Démobilisé en août 1940 de la probable base aérienne 745 d’Aulnat, toute proche de Clermont-Ferrand, Jean devient alors pendant quelques mois «inspecteur du centre de démobilisés de zone interdite» situé dans le quartier Gribeauval. Il s’agissait de prendre en charge les nombreux chômeurs qui ne pouvaient rentrer dans leurs régions d’origine, annexées par l’armée allemande.
Le 21 février 1941, en la mairie d’Azay-le-Ferron, Marie-Madeleine Boitard devient Madame Foursac. Claude, leur fils unique, naîtra fin 1943.
A partir du 25 août 1941 et pour trois ans environ, Jean est officiellement employé comme civil chef du magasin atelier au service des télécommunications et de la signalisation. Un poste stratégique qui marque le début de son entrée en Résistance, sans appartenir à aucune des organisations qui se mettaient alors en place sur tout le territoire.
Son premier acte de bravoure a consisté à sortir et à camoufler du matériel technique pouvant être utilisé par des résistants, en dépit des nombreux contrôles effectués par des officiers allemands de la commission d’armistice stationnés à Royat (63). Le jeune homme réitérera l’exercice en novembre 1942 en faisant quitter de l’entrepôt qu’il dirigeait des postes-émetteurs, des groupes électrogènes et des lampes, au nez et à la barbe de l’officier supérieur allemand installé dans le bureau attenant au sien et sous les yeux du poste de garde le Luftwaffe. Par ailleurs, les matériels considérés par l’occupant comme prises de guerre se voyaient systématiquement sabotés en catimini… par les Français.
Jean finit par rejoindre en février 1943 le réseau S.T.N. Sous les ordres d’Alexandre Courson de la Villeneuve, il est chargé de le structurer. Les arrestations massives opérées par la Gestapo le 1er juillet 1944 anéantiront cette organisation.
Ayant des doutes sur l’activité souterraine de Jean, la Milice l’arrête dans un premier temps le 3 juin 1944. Il se disculpe au cours de son interrogatoire et est relâché. Pas pour longtemps ! Un mois plus tard, c’est la Gestapo qui vient le chercher dans son bureau. L’étau se resserre avec quatre chefs d’accusation :
1 – mise en place du réseau S.T.N.,
2 – sabotage du réseau télégraphique,
3 – camouflage de matériel,
4 – participation à des parachutages.
En dépit d’un long interrogatoire musclé, Jean garde le silence. Il est jeté dans une prison militaire …
… Qu’il quitte le 18 juillet pour le camp de Royallieu à Compiègne (60), l’un des trois principaux camps d’internement nazis sur le sol français qui verra passer 54000 résistants, juifs, militants syndicaux et politiques. Le matricule 43568 lui sera attribué à son arrivée.
Départ dans la soirée du 28 juillet pour le camp de concentration de Neuengamme, situé à 25 km à l’est de Hambourg en Allemagne. 1652 hommes sont entassés dans des fourgons à bestiaux, sans eau, ni nourriture. Le pénible voyage de 850km sera ralenti par les bombardements alliés et les tentatives d’évasion qui se solderont par 4 tués transportés dans le train jusqu’au camp.
Bien que le Débarquement ait eu lieu depuis deux mois, les autorités du Reich poursuivent les déportations pour vider ce centre majeur de détention en zone occupée qu’est Royallieu. Ce convoi a été l’avant-dernier précédant la fin des hostilités.
Enfin arrivés le 31 juillet, les déportés sont mis en quarantaine et triés. Main d’œuvre de remplacement bon marché, ils alimentent en permanence l’économie germanique et soutiennent sa production de guerre. C’est ainsi que les SS avaient organisé quelques 80 Kommandos extérieurs dans un rayon de 200km autour de Neuengamme. Les détenus travaillaient à la fabrication de munitions, de produits chimiques; d’autres assuraient les déblaiements après les bombardements, réparaient les voies de communication, …
Jeune, en bonne condition physique, Jean – matricule 40339 – se voit transféré dès le 16 août au Kommando de la Kriegsmarine à Brême-Osterort pour débuter, comme 1000 autres détenus dont la moitié de Français, un travail de forçat dont on devine les terribles conditions. Coûte que coûte, nécessitant un important travail manuel, l’immense bunker de sous-marins Hornisse devait être construit. Peu importait le nombre quotidien de décès. Ils étaient aussitôt remplacés par de nouveaux venus.
Chaque matin, les contremaîtres dressaient les listes de numéros matricules des détenus répartis par groupes de travail.
Régulièrement et violemment frappé, entre autre d’un coup de crosse à la tête, la santé de Jean se détériore, accentuée par des rations alimentaires en forte diminution, des conditions d’hygiène déplorables et un hiver 44/45 particulièrement rigoureux. Il en conservera une surdité partielle, la perte de 16 dents et de nombreux troubles qui l’accompagneront le reste de sa vie.
Les multiples punitions humiliantes des kapos (pour beaucoup d’anciens criminels allemands) sapaient le moral des hommes accentuant les difficultés de survivre, comme en témoigne Eugène Moreau : «tout ce qu’ils pouvaient trouver de plus inhumain, ils le faisaient afin de nous démoraliser. Car, lorsqu’il n’y avait plus de moral, c’était la mort.»
Ne pouvant lutter face à de telles conditions, seuls 180 Français survivront sur les 530 envoyés dans ce Kommando.
Retour au camp de Neuengamme le 15 avril 1945 après l’arrêt du chantier provoqué par des bombardements alliés. Son évacuation devient inéluctable et doit être rapidement organisée. Que faire de plus de 10 000 hommes dans un triste état ?
Le comte Bassewitz-Behr, chef des SS et de la police à Hambourg et le Gauleiter Kaufmann, commissaire du Reich pour l’administration maritime ont l’idée de rassembler les détenus sur des navires réquisitionnés dans le but inavoué de les torpiller par la suite, pour respecter les ordres de Himmler qui avait édicté qu’ «aucun détenu ne doit tomber vivant entre les mains de l’ennemi».
C’est ainsi qu’environ 9000 prisonniers valides sont transportés par une quinzaine de trains vers les quais maritimes de Lübeck entre le 19 et le 26 avril 1945, après avoir reçu chacun un colis de la Croix-Rouge américaine jusqu’à là conservés par les SS. Trois navires confisqués, arborant le pavillon rouge à croix gammée, mouillent à Neustadt au nord de Lübeck : le Cap Arcona, l’Athen et le Thielbek.
Au fur et à mesure de l’arrivée des trains, les hommes sont entassés dans les cales des bateaux. On empile les morts pour faire de la place; la faim, la soif, le manque de soins, l’absence totale d’hygiène sont leur lot quotidien pendant deux semaines.
Jean est transféré sur l’Athen, un navire allemand de 1936 sous la mainmise de la Kriegsmarine. Menaçant d’être fusillé, Fritz Nobmann, le capitaine est sommé d’embarquer 2300 prisonniers et 280 SS et kapos pour les amener sur le Cap Arcona positionné à quelques kilomètres. En quelques jours, ce paquebot de luxe sera chargé de 6500 «prisonniers de guerre», selon l’expression allemande, enfermés dans ses profondeurs ou croupissant à 16 dans une simple cabine, sans eau, sans vivres et sans toilettes. Leurs 500 gardiens, quant à eux, se sont octroyés les suites luxueuses des ponts supérieurs.
Le 30, face à cet univers concentrationnaire flottant surchargé et en totale déroute, la capitaine de l’Athen revient chercher 2000 passagers francophones qui ignorent leur nouvelle destinée. Le bateau jette l’ancre en baie de Neustadt et n’en bougera plus.
Il devient évident que le Cap Arcona, dont les turbines sont hors d’usage et méticuleusement vidé de toutes les bouées de secours, des gilets de sauvetage et tout ce qui aurait pu flotter, est destiné à être coulé avec sa cargaison humaine.
Parallèlement, les forces alliées avancent rapidement, prenant en tenailles les belligérants dont le chef, Adolf Hitler s’est suicidé le 30 avril, annonçant la toute fin du conflit. Des chars britanniques entrent dans la ville de Lübeck le 3 mai. Dans la nuit précédente, tous les bâtiments de guerre allemands avaient disparu de la baie hormis ces trois navires de transport repérés le matin même par un avion de reconnaissance anglais. Son vol à 10 000 pieds (3km) ne lui a pas permis de repérer distinctement l’identité des personnes à bord : les prisonniers faisaient de grands gestes des mains, les soldats SS tiraient sur l’appareil, les drapeaux nazis claquaient au vent …
Pour des raisons encore floues à ce jour et sujettes à controverse, vers 14h30, une escadrille anglaise de chasseurs-bombardiers, dirigée par Sir Arthur Coningham, fonça sur le Thielbek et le Cap Arcona et lâcha des bombes de 500 livres provoquant en plusieurs endroits des incendies.
Une panique indescriptible s’ensuivit : les prisonniers se sont jetés dans une eau à 7°C de la mer Baltique ; d’autres tentèrent de s’accrocher à ce qui flottait … les derniers sont mitraillés par les canons de 20 mm des chasseurs anglais qui réalisent plusieurs passages au ras de l’eau ou par les mitrailleuses ennemies situées sur le pont. Quelques uns seront sauvés par des pêcheurs allemands venus à leur secours ou auront réussi à atteindre la côte. La majorité de détenus, jetée dans les cales, mourra asphyxiée faute d’avoir pu ouvrir les portes.
Le Thielbek sombre en 20 minutes avec 2800 déportés à bord. Parmi les 50 survivants, il n’y aura que 4 Français connus.
Quant à celui surnommé le Titanic nazi, il se couche sur le flanc et y demeure par manque de profondeur. Quelques prisonniers sortent par les hublots et tentent de rejoindre la rive à 3km.
En moins de 12 heures, cet abominable drame occulté par l’Histoire pendant plus de 40 ans, fit 7000 victimes de toutes nationalités dont plus de 4000 sur le Cap Arcona.
Et Jean ? Nous ignorons précisément comment il s’est échappé de cet enfer. Faisait-il partie des 1998 personnes installées sur l’Athen amarré dans le port de Neustadt avant l’arrivée des avions anglais et qui a évité un massacre après qu’un matelot ait hissé le drapeau blanc ? Des 12 Français miraculés du Cap Arcona ?
Il a rejoint (à la nage ?) «les lignes anglaises sous le feu des mitrailleuses allemandes» a-t-il écrit en 1948.
C’est avec un amaigrissement de 18 kg que l’enfant de Mézières arrive au centre de rapatriement de Lille le 21 mai 1945. Il reçoit des vêtements, 8000 francs, une carte de rapatrié faisant office de carte d’identité et il revient en Brenne chez ses parents. Il y demeurera alité 45 jours et ne sera examiné par un médecin du centre départemental des déportés de l’Indre que deux mois plus tard.
Après avoir repris des forces, Jean poursuivra sa carrière militaire en région parisienne. Nous le retrouvons lieutenant en 1947 dans un entrepôt de l’armée de l’Air à Saint-Cyr-l’Ecole, situé derrière le château de Versailles. Il sera par la suite nommé commandant puis colonel.
De nombreuses médailles souligneront ses multiples actes héroïques et de survie parmi lesquelles la Légion d’honneur, la Croix de guerre avec palme, la médaille de la Résistance française, la Croix du Combattant volontaire de la Résistance pour son «magnifique exemple de courage et d’esprit français.» a précisé le Président de la République Vincent Auriol.
Dès la fin de la guerre, Jean s’installe à Paris, ne conservant dans l’Indre qu’une résidence secondaire à Azay-le-Ferron.
Ses parents cesseront leur activité de commerçants à Mézières entre 1953 et 1955. Leur fidèle vendeur, «Tilo» Lejeune, bien connu des habitants, les a assistés pendant de nombreuses années.
Les Macériens âgés se souviennent encore de l’émouvante conférence donnée conjointement par Messieurs Louis Balsan, déporté à Mauthausen, Marcel Lemoine, déporté à Buchenwald et Jean Foursac, déporté à Neuengamme, le 29 janvier 1971 dans la salle de cinéma. Organisée par la Maison des Jeunes de la Brenne, cette manifestation qui rassembla un nombreux public, avait pour but d’écouter les témoignages directs des survivants, pour éviter l’oubli. Parallèlement, une exposition organisée par la Fédération Nationale des Déportés et Internés Résistants Patriotes dont Jean était le président pour l’Ile de France, a permis de découvrir des documents et des photos, utiles pour s’imprégner du calvaire subi quotidiennement dans les camps de la mort.
Jean Foursac, décédé le 27 juin 1976 à l’âge de 63 ans, est inhumé dans le cimetière d’Azay-le-Ferron. La mention «Mort pour la France» est inscrite sur sa tombe.
A la fin des années 1970, le ministère de l’Education nationale demande qu’un nom soit donné à chaque école. La décision en revient au conseil municipal. L’équipe de Léon Boussard choisit celui de Jean Foursac pour l’école maternelle, en hommage au valeureux combattant qu’il a été et à son exemplarité patriotique. L’école primaire sera nommée Joseph Thibault, du nom de l’érudit et collectionneur passionné, propriétaire de l’Ebeaupin.
Au cimetière du Père Lachaise à Paris, une stèle érigée à la mémoire des martyrs du camp de concentration de Neuengamme rappelle qu’«ils sont morts pour que nous vivions libres». Un fragment du Cap Arcona est scellé à son pied.
Miraculeusement et grâce à une volonté hors norme, Jean Foursac a survécu à la fois aux affres de la guerre, aux terribles camps de la mort et à la plus grande catastrophe de l’histoire maritime de tous les temps dont personne ne fut jamais tenu responsable. Oui, la vie l’a vraiment «Aimé».
* Rouennerie : à l’origine, tissu à dominante rose, rouge ou violette fabriqué à Rouen avec une méthode de tissage particulière. Par extension, au début du XXème siècle, lieu dans lequel on vend du tissu, de la toile.
NB : pour ce qui concerne la tragédie du Cap Arcona et du Thielbek, les archives anglaises ne seront officiellement consultables qu’en 2045 …
Jean Delalez, instituteur à Obterre (36) et résistant très engagé est l’une des nombreuses victimes du Thielbek.
SOURCES :
Archives départementales de l’Indre : R2634 – matricule 162. Nouvelle République des 26-29-30/01/1972, 02/02/1972, 29/06/1976. Etats-civil, recensements en ligne.
Secrétariats des communes d’Azay-le-Ferron et de Chisseaux.
https://www.campneuengamme.org/ et tout particulièrement Monique Foy.
Dossiers de Neuengamme n° 6 et 11 édités par l’Amicale de Neuengamme et de ses Kommandos.
https://arolsen-archives.org/fr/
https://www.memorial-compiegne.fr/ et en particulier Julia Maitre.
SHD Vincennes – 16P 231959.
SHD Caen – 21P 608233 sur dérogation spéciale.
Archives Nationales à Pierrefitte-sur-Seine – 629 MI 17.
Patrick Grosjean, Président de l’association des Amis du Blanc et de sa région.
M Christophe Foursac, son petit-fils pour les photos transmises (pages 1 – portrait – et 9 – décorations).
Mme Arlette Nicaud.
Mme Avril Growcott pour la traduction anglaise.