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L’air, l’eau, les « pompes à vent » de Brenne

En randonnant ou en voiture, avez-vous déjà aperçu, en Brenne exclusivement, des pales cerclées de métal posées sur une fine tubulure métallique, doublée d’un escalier très étroit, trônant fièrement dans une propriété ?

Il s’agit des éoliennes Bollée ou « pompes à vent » dont nous allons vous conter l’histoire industrielle et vous dévoiler les lieux qui accueillent les deux exemplaires encore debout dans l’Indre.

Ernest-Sylvain Bollée Source : AD 72

Ernest-Sylvain Bollée (1814-1891), originaire de la Haute-Marne, était un fondeur de cloches tout d’abord itinérant qui s’installa définitivement au Mans. Issu d’une grande famille de maîtres saintiers depuis 1715, il fabrique un four, allumé pour la première fois en 1842. Profitant de l’ère de l’industrialisation prospère en France, associée aux nombreuses découvertes, Ernest diversifie ses activités en travaillant le métal d’une autre façon. Le développement agricole et industriel nécessite alors des grandes quantités d’une eau plus pure.

C’est ainsi qu’à l’âge de 56 ans en 1868, cet inventeur dépose un brevet pour une machine qui, grâce à la seule force du vent, est capable de puiser et de remonter jusqu’à 4m3 d’eau par heure. Pour la première fois, le mot « éolienne » devient le nom commun qu’on lui connaît aujourd’hui. Il entrera dans le dictionnaire Larousse dès 1907.

La fonderie de cloches, qui fabrique déjà des robinets, des canalisations, des pompes et des béliers hydrauliques, entre en production la première éolienne en 1872. Au total, plus de 350 exemplaires seront usinés pendant 60 ans. Elles sont installées dans les parcs des gentilhommières, des demeures bourgeoises dont les propriétaires avaient suffisamment d’aisance financière pour s’offrir jusqu’à plus de 10 tonnes de fer …

Cet élément précieux que représente l’eau sera utilisé pour irriguer les champs et les potagers mais aussi à titre ménager (l’eau potable n’arrivera dans les foyers des bourgs que dans les années 1950) et de plaisance pour agrémenter les bassins et les fontaines des parcs.

51 départements français et 6 pays étrangers (Belgique, Royaume-Uni, Tunisie, Brésil, …) ont vu surgir ces drôles de machines. L’Indre-et-Loire, avec ses manoirs cossus et ses châteaux prestigieux, en accueillera 69 dont celle d’Esvres-sur-Indre restaurée par la municipalité et en parfait état de fonctionnement. 42 remonteront l’eau du département de la Sarthe, 26 dans l’Yonne et … 4 dans l’Indre, toutes situées en Brenne.

Ernest Bollée, qui décèdera d’un accident de tramway à cheval, a apprécié le succès commercial de son invention, après qu’elle ait été présentée aux Expositions universelles de Paris en 1878 et 1889. Son fils cadet Auguste améliorera encore la puissance de pompage tandis que l’ainé Amédée est considéré comme le premier constructeur ayant commercialisé des automobiles à essence.

Aujourd’hui, Bollée-Fonderie installée à Saint-Jean-de-Braye près d’Orléans, est l’une des trois entreprises artisanales françaises à perpétuer l’art millénaire de la fabrication de cloches. Une centaine sort chaque année des gabarits réalisés en bois. Ses carillons tintent dans des cathédrales et des églises du monde entier, du Viêt Nam au Japon et au Canada, en passant par Tours et Châtellerault.

Dans notre département, quatre éoliennes ont été installées entre 1875 et 1907 :

Le château du Chazelet

1 – au château de Chazelet, au nord de Saint-Benoît-du-Sault.

La famille Taupinard de Tillières, propriétaire depuis 1825, fit restaurer le château dans les années 1860 sous la houlette de l’architecte Alfred Dauvergne. A cette occasion et dans un probable souci de modernité, l’éolienne dont seule la grille de protection existe à ce jour, fut édifiée en 1875 au milieu de la cour de la ferme attenante. La même année que le premier pont en béton armé au monde qui permet de (toujours !) franchir les douves. Inscrit à l’inventaire des monuments historiques, long de 14 mètres, cet ouvrage a été conçu par Joseph Monier.

Le château de Notz-Marafin à Saulnay

2 – au château de Notz-Marafin à Saulnay, au nord de Mézières-en-Brenne.

Située au fond d’une déclivité, derrière le château reconstruit en 1834 par Victor Luzarche, cette pompe à vent ne se distingue au détour d’un chemin que par son rotor à lames en mauvais état.

Bien que décédé quelques années avant son installation en 1882, François Cavé, cet illustre industriel inventeur entre autre, de locomotives à vapeur, de grues hydrauliques et d’une soufflerie pour hauts fourneaux, aurait été fort intéressé par l’ingénieux système permettant de remonter l’eau nécessaire au potager attenant à sa demeure. Cette éolienne fonctionnait encore dans les années 1990 grâce à un indispensable château d’eau miniature.

3 – à Sainte-Gemme, bourg – route d’Arpheuilles.

La machinerie

Visible de la route dans sa totalité, cette éolienne est particulièrement bien conservée. Installée depuis 1894 par Auguste Bollée, comme en témoigne une plaque posée au pied de la colonne centrale, elle a tourné au vent jusque dans les années 1950/1960. L’eau provenant d’une nappe phréatique approvisionnait le logis familial tout proche ainsi qu’une fontaine dans le parc appartenant alors à Monsieur Ménard. Les dix haubans maintiennent solidement la structure encadrée de deux petits bâtiments dans lesquels la machinerie est toujours présente, y compris les bidons d’huile nécessaires à son graissage !

4 – au château du Plessis, à Néons-sur-Creuse – route de Tournon-Saint-Martin à Angles-sur-l’Anglin

Nulle trace de l’éolienne commandée par un certain Keller et installée en 1907 dans cette demeure ou la grande ferme dépendante ayant appartenu à la fin du XVe siècle à une certaine Catherine Genouillac, fille d’un apothicaire d’Angles. L’évêque de Poitiers, Pierre d’Amboise, lui a donné une descendance dont est issu Armand Jean du Plessis … l’habile cardinal de Richelieu.

La Camélia à Ecueillé.

De la fin du XIXème au début du XXème siècle, Brion, Neuvy-Pailloux, Faverolles, Pellevoisin et Ecueillé avec son étonnante Camélia ont vu des rotors s’élever dans le ciel indrien, évitant la corvée fastidieuse de remonter l’eau des puits. Différemment conçues, ces éoliennes ont, pour la plupart, « travaillé » jusqu’à l’arrivée de l’eau potable après la Seconde Guerre mondiale. Dans le cadre d’un vaste plan d’aménagement, le Génie rural départemental a incité les communes à équiper tous leurs administrés, jusque dans les fermes les plus reculées.

Huit générations de Bollée se sont succédé dans la fonderie de cloches, se transmettant un savoir-faire ancestral. Le départ en retraite de Dominique en 2011 a sonné la fin de cette formidable aventure humaine et industrielle du XIXème siècle dont notre département conserve quelques vestiges de fer. Des actionnaires extérieurs à la famille perpétuent néanmoins cet art campanaire, en France et à travers le monde.

Présentes dans le golfe arabique depuis au moins le IXe siècle, les pompes à vent sont devenues universelles, tant il a toujours été primordial de remonter l’eau du sous-sol pour assurer la vie. En perpétuelle évolution, elles poursuivent écologiquement leur but premier avec efficacité et douceur.

Sources :

 

Crédits photos : Chantal Kroliczak, sauf mention contraire.

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