Le 18 janvier 1994 s’éteignait à l’âge de 45 ans, Mario Alvarado, plongeant les habitants du petit village de Mézières-en-Brenne, dans une infinie tristesse. En quelques années, l’artiste peintre chilien aura marqué les esprits des Macériens, par une personnalité rayonnante, et sa faculté à ouvrir l’expression artistique contemporaine au monde rural.
En décembre dernier, Mario Alvarado aurait probablement salué la victoire de Gabriel Boric à l’élection présidentielle chilienne, aux dépens du candidat d’extrême droite, admirateur du général Pinochet, dictateur chilien de 1973 à 1990. Car le coup d’État du 11 septembre 1973 a été un choc pour le peintre. L’enfant de la Terre de Feu chilienne est en Europe lorsque le Président Allende est renversé. Du 28 juillet au 5 août 1973, il représentait officiellement son pays au Xème festival international de la jeunesse et des étudiants à Berlin-Est. Il restera donc, sur le vieux continent, en Angleterre d’abord, puis de l’autre côté de la Manche. « La France est le juste milieu, le plus latin des pays anglo-saxons », affirme-t-il. À Paris, des amis contribuent à faire connaître son œuvre. Adepte des toiles de grand format, il participe à un groupe de peintures murales. Deux d’entre elles sont exposées à Créteil.Dans son atelier parisien, il crée plus de deux cents fresques présentées dans le monde entier : Venise, Stockholm, Mexico, La Havane, New York, notamment. Mais il souhaite accéder à la culture française, en dehors du parisianisme. En 1984, il découvre la Brenne, qui devient une source d’inspiration. Il apprécie le calme et les paysages de la région aux mille étangs. Il se lie rapidement avec les habitants et en particulier avec l’équipe municipale.
Son arrivée coïncide avec la période où la Mairie de Mézières-en-Brenne décide de transformer un ancien moulin en office de tourisme équipé d’une salle réservée aux expositions. Mario y accroche ses toiles bouillonnantes de vie. Guy Savigny décrira ce style dans les colonnes de la Nouvelle République. « Les êtres, les choses », représentés, plutôt suggérés – hésitation volontaire entre le figuratif et l’abstrait – prenaient vie dans de grands mouvements colorés, au début, marqués d’un peu de violence et au fil du temps plus dépouillés.
Les couleurs, surtout le bleu, le vert, le jaune étaient traitées pour elle-même.Mario les dégageait de la réalité des choses comme pour rendre à elles aussi une certaine liberté ». Sa peinture traduisait également ses convictions religieuses. Il offrit à la collégiale Sainte-Marie-Madeleine une toile nommée « Transfiguration ». Cette réalisation illumine toujours le lieu de sa présence. Autant d’œuvres qui bousculaient le regard de ses contemporains. Jean-Louis Camus, le maire de Mézières, rappelait lors de l’inauguration d’une récente exposition, des propos tenus quelques mois après la disparition de l’artiste. « Par ta peinture, tu as favorisé la rencontre du monde rural et de l’art contemporain. Tu as touché nos cœurs et nos esprits. Tu nous as fait comprendre toute la beauté et la laideur, toute la sagesse et la violence du monde. Seuls les grands artistes y parviennent et tu es de ceux-là ».L’artiste chilien s’exprimait, et organisait avec autant d’énergie. C’est sous son impulsion que sera créé un rendez-vous artistique annuel. Le « Mézières-en-Brenne Art Contemporain ». Le MEBAC naît en juillet 1989. L’exposition perdure encore aujourd’hui.
Désireux de partager et de transmettre son amour pour l’art, il conduit également, un projet artistique et pédagogique avec les écoliers de Mézières. Sur le thème du voyage, de la découverte de l’ailleurs, une fresque de 30 m de long sur 2,50 de haut est réalisée. 70 élèves laisseront libre cours à leur créativité. Les symboles du voyage, de l’aviation, de Paris, des enfants du bout du monde et de la Brenne se mêlent sur cette toile qui sera exposée en mars 1992 dans une galerie de l’aéroport d’Orly-Sud.
Le dynamisme de Mario amène la même année, sur les terres brennouses, l’ambassadeur délégué du Chili auprès de l’UNESCO pour inaugurer une exposition consacrée à la culture mapuche, un peuple d’Indiens chiliens, agriculteurs et éleveurs de lamas. De superbes bijoux en argent, fabriqués par les écoliers de la ville de Temuco, sont présentés. Cette exposition résonnait comme une invitation à découvrir un autre monde, des traditions lointaines et un appel à faire vivre sa propre identité culturelle.
À Mézières-en-Brenne, tous ceux qui ont côtoyé Mario Alvarado, restent marqués par la vitalité de l’artiste autant que sa personnalité. « C’était un personnage lumineux comme sa peinture », se souvient Marie-Paule Camus, responsable des expositions du Moulin pendant trente ans. Son passage dans la capitale de la Brenne restera sans doute longtemps dans les mémoires. En son hommage d’ailleurs, la municipalité a donné son nom à une place, devant la médiathèque, au centre du bourg.
En 2024, pour le trentième anniversaire de son décès, son village adoptif aurait toutes les raisons de commémorer le peintre et l’homme qui disait de son art : « Ma peinture, il n’y a rien à comprendre, que des émotions à partager ».