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Un Bondieu parmi les hommes

M. Bernard Bondieu

Du 29 août au 20 septembre 2020, l’abbaye de Prébenoit près de Gueret, accueillait une exposition d’oeuvres de Bernard Bondieu. Des sculptures et des peintures inspirées par un texte d’Henri Michaux : Le voyage en grande Garabagne. Du 25 septembre au 5 octobre, l’artiste creusois participait à une exposition collective consacrée à la Commune de Paris. Deux manifestations qui traduisent l’intérêt porté par Bernard Bondieu à l’espèce humaine.

« Les Ématrus s’enivrent avec de la clouille, mais d’abord ils se terrent dans un tonneau ou dans un fossé où ils sont trois et quatre jours avant de reprendre connaissance. Naturellement imbéciles, amateurs de grosses plaisanteries, ils finissent parfaits narcindons. »

La salle d’exposition

Le portrait grinçant de ce peuple imaginaire et l’utilisation de néologismes illustrent l’univers loufoque de la grande Garabagne.Michaux invite le lecteur à découvrir les modes de vie, les mœurs de femmes et d’hommes au cours d’une promenade jalonnée de 31 escales. L’exposition de Bernard Bondieu reproduit ce cheminement. À chaque escale correspond un peuple, à chaque peuple un texte, à chaque texte une toile, une sculpture. Mais précise David Czekmany, auteur d’un livre consacré à l’exposition, il ne s’agit pas là d’une simple illustration.

« Bondieu aime dialoguer avec la littérature… »

« Bondieu aime dialoguer avec la littérature (…) Ainsi les œuvres réalisées dans le cadre de cet hommage, si elles prennent pour source le voyage en grande Garabagne n’en sont pas complètement subordonnées, l’artiste ne cherchant pas à coller absolument aux mots, mais à les interpréter selon sa vision intime de l’art ». L’exposition s’apparente donc à une collaboration artistique entre deux autodidactes. Car Michaux et Bondieu se singularisent par un rejet de toute forme d’appartenance à une école, à des techniques. Bernard qualifie son style de naïf, de brut. Il revendique un art d’abord basé sur l’expression de l’imagination, de l’originalité, de l’instinct. Tout ce que réalise Bernard Bondieu, note David Czekmany est le résultat d’un chemin personnel tirant l’expérience de ses échecs et réussites. Ainsi se crée un dialogue permanent entre l’artiste et son œuvre. « Il faut laisser libre cours au geste qui s’impose dans la création, et en même temps il faut prendre du recul. J’aime le moment où je retrouve le travail laissé la veille. Je peux poser un regard neuf pour concevoir la suite. », explique-t-il. Pour Michaux et Bondieu, l’expression artistique consiste à aller à la rencontre de l’espèce humaine. Car si les communautés peuplant la grande Garabagne sont nées de l’imagination de Michaux, leurs comportements souvent vils et immoraux ne sont pas sans rappeler ceux de nos contemporains.

Salle d’exposition, atelier ?

En témoignent la violence des combats à mort qui réjouissent les foules des « Hacs », les femmes mises en vente comme sur un marché d’esclaves chez les Omanvus ou les persécutions dues à la religion chez les Mazanites et les Hulebures. L’imaginaire rejoint la réalité. Une réalité qui touche la sensibilité de Bernard Bondieu. Surtout lorsque les hommes sont liés à de grands événements historiques tels que la Commune de Paris. « De nombreux maçons creusois ont migré sur Paris à cette époque, explique Bernard. Ils se sont retrouvés mêlés à l’insurrection. Certains y ont participé ». Passionné par le sujet (il est membre de l’association « les amies et amis de la Commune de Paris 1871 »), il tient à commémorer cet événement trop souvent méconnu par l’expression artistique.

Une œuvre de l’atiste Bondieu

Du 25 septembre au 5 octobre, il a participé à une exposition collective organisée sur ce thème. L’attachement aux idéaux des communards n’a rien de surprenant de la part d’un homme investi très jeune dans le mouvement syndical et politique. Né à Auzances, ses parents travaillant à Montluçon, il est élevé en partie par ses grands-parents. Des années dont il garde un souvenir ému. Il retient de cette période la chance d’avoir été le petit-fils d’un homme exceptionnel. Son grand-père était un touche-à-tout : bricoleur, amoureux de la nature, conteur, peintre, sculpteur, musicien. « Pour lui, toutes les choses ou événements de la vie étaient formidables», confie Bernard qui a écrit un livre consacré au grand-père Gaby. C’est auprès de lui, dès son plus jeune âge, que Bernard commence à crayonner. Un plaisir artistique qui ne le quittera plus, mais pour le loisir.

L’atelier de l’artiste

Car sa scolarité le conduira dans un collège technique où il décroche un CAP d’électricien. Il est embauché chez Michelin à Clermont-Ferrand qui recrute beaucoup d’électriciens à ce moment-là. C’est dans cette grande usine de fabrication de pneus qu’il prend conscience des conditions de travail difficiles. «  Des ouvriers usés par une vie de travail, relégués au balayage. Nous sommes en 1966 c’était 54 heures de travail par semaine pour seulement deux semaines de congés payés, ça ouvre les yeux, tout ça », confie-t-il. Rapidement il côtoie le syndicalisme et la politique.Militant Lutte Ouvrière, il est syndiqué à la CFDT, mais l’attrait pour d’autres activités l’incite à tenter sa chance aux beaux-arts, où il décroche un diplôme de commis architecte. L’expérience professionnelle n’est pas concluante. En 1971, il est recruté par la Sagem où il adhère à la CGT et au PCF. Son engagement social se traduit également par des responsabilités dans le mouvement associatif. Il sera élu président d’une amicale de parents d’élèves. Une implication totale dans l’action collective qui ne l’empêche pas de suivre sa propre route. Il décide de rentrer à l’AFPA.

Peinture et sculpture

« C’est extraordinaire ce que réalisait la formation professionnelle », s’enthousiasme-t-il. Il met donc en place des formations sur des secteurs tels que la domotique ou l’immotique. Il n’en oublie pas pour autant la défense des intérêts communs puisqu’il est délégué du personnel aux CHSCT. Il restera à l’AFPA jusqu’au départ à la retraite. Retour aux sources. Il s’installe à Jouillat, petit village proche de Guéret, dans une maison réhabilitée par ses soins. La demeure est bien plus qu’une habitation. Fidèle à sa soif d’échange, de partage, de fraternité. Bernard fait de ce lieu un espace dédié à la culture et aux rencontres.Il crée une association « Ateliers et vie au Coudercs ». Dans ces locaux sont accueillis tous ceux qui souhaitent partager leur expression artistique. Y sont organisées des expositions de peintures, de sculptures, des soirées cabaret, des conférences. Une maison d’édition, « Les Éditions des Coudercs » publie des ouvrages, parmi lesquels un recueil de textes de chansons de Gaston Couté, un livre de poésie de Gérard Chevalier « poésie en vers et bleu », un pamphlet sur le pillage des ressources des campagnes « Requiem pour un pays sauvage » de Julien Dupoux ou le livre de Bernard Bondieu consacré à son grand-père « Gaby Jazz ». L’insatiable aïeul a de toute évidence légué à son petit-fils une énergie sans limites, puisque Bernard a mis sur pied avec les bénévoles de l’association un salon des arts à Chéniers, toujours dans les environs de Guéret. Chaque année, depuis 2015, soutenue par le conseil municipal de Chéniers, son Maire Gilles Gaudon en tête, l’exposition s’est imposée au sein de la vie culturelle creusoise .

L’artiste Bondieu dans son atelier

« Avec une cinquantaine d’artistes, le salon est la principale manifestation de ce genre  dans le département», se réjouit Bernard. Se nourrir de l’apport des autres, cultiver l’amitié et créer. Bernard poursuit inlassablement sa route avec ses valeurs comme unique boussole. Le hasard des rencontres, des circonstances et de l’inspiration déclenchent la mécanique de la création. Ainsi, à la suite d’une photo fortuite de Bernard prise de dos, il photographie des centaines de personnes avant de réaliser des tableaux.De même, de la trace laissée par un pinceau essuyé sur un papier germera l’idée d’une autre série de tableaux : « Traces de vie » présentant des individus, seuls, en couple, en groupe, de face, de dos, en vague silhouette ou plus détaillé, le plus souvent sans visage. La série constitue une suite impressionnante de personnages révélant une diversité de situations, de sentiments et de caractères. Une série chasse l’autre, Bernard, lorsqu’il s’embarque dans un cycle de création, a toujours la pensée fixée plus loin. « Ce qui me préoccupe c’est le sujet qui va m’inspirer après ». Une façon d’anticiper ses futurs voyages.

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